André Lwoff

Banquet speech

André Lwoff’s speech at the Nobel Banquet in Stockholm, December 10, 1965 (in French)

Sire, Altesses Royales, Mesdames, Messieurs.

C’est la recherche qui m’a conduit ici et la recherche, on le sait, est un jeu. Montaigne déjà faisait mention de ” cette passion studieuse qui nous amuse à la poursuite des choses et de l’acquêt desquelles nous sommes désespérés”. En général, il faut bien le dire, ce n’est pas la découverte qui engendre le désespoir, mais bien plutôt son défaut.

La recherche étant un jeu, il importe peu en théorie tout au moins, que l’on gagne ou que l’on perde. Mais les savants possèdent certains traits des enfants. Comme eux ils aiment gagner et comme eux ils aiment être récompensés.

Quand on baptise un nouveau-né, on ne lui demande pas son avis. A quoi, bon? Lorsque la Fondation confère son prix, elle le fait sans l’accord préalable du récipiendaire. On pose en principe qu’il acceptera. Il arrive cependant qu’il refuse, contraint parfois par les autres, parfois par lui-même. Mais pourquoi refuser le sacrement puisqu’on refusera le refus. Si j’ai prononcé le mot de sacrement c’est que la recherche scientifique est une religion qui demande la foi, une foi rationnelle. Comme toute religion, elle exige des prophètes, un collège d’apôtres, l’âme et le cœur de tout un peuple. Elle exige également des martyrs.

Le grand inquisiteur a fouillé dans le passé du chercheur. On le charge de crimes : il a goûté le fruit vénéneux de la connaissance et a enfanté des visions étranges. Il est condamné. On l’immole sur l’autel de la gloire transcendante. Pour affirmer sa passion désintéressée on lui donne beaucoup d’or. Pour fortifier sa modestie une machine infernale projette son image à travers l’espace et le monde entier le regarde.

La victime prend à la cérémonie un plaisir évident et il y a beaucoup de candidats au martyre. Car tout savant, au fond de lui-même, désire être reconnu. Cependant, la célébrité conférée au lauréat par une distinction si rare, si enviée, et si éclatante, le sépare quelque peu arbitrairement de ses pairs, l’oblige à se considérer, à se juger. Elle l’oblige aussi à méditer sur les prix en général, sur la générosité du sort, sur les charmes et les contraintes de la notoriété.

Et puis, il y a quelque chose de plus grave. Chrysippe, et l’ancien stoïcisme, nous recommandent de n’attacher de l’importance qu’aux choses qui dépendent de nous. C’est un conseil très sage auquel j’ai toujours tenté de me conformer. Et voilà qu’un événement qui ne dépend pas de moi prend soudain dans ma vie une place dont il serait vain de nier l’importance et qui, de plus, est un événement heureux. Heureux pour mon pays, pour l’institution à laquelle j’appartiens, pour la discipline que je cultive. Heureux aussi pour les miens et sans doute enfin pour moi-même. Selon Spinoza la joie est le passage d’une perfection moindre à une perfection supérieure, donc quelque chose d’important et, malgré mes sages principes, j’ai ressenti une grande joie. Je le constate avec regret, mais sans trop d’étonnement. D’ailleurs, s’il est vrai que le regret est une forme de la tristesse, il convient de l’écarter comme une diminution d’être.

Les tempêtes qui ébranlent les principes sont enrichissantes pour le cœur et pour l’esprit. Mais l’événement que l’on célèbre aujourd’hui est un naufrage irrémédiable où s’engloutit pour toujours la règle d’or de la sagesse, et qui pourtant fait naître le ravissement.

Tout épilogue de ce drame plein de contradictions est par avance condamné par la raison. Mais tout doit avoir une fin.

Ombre illustre d’Alfred Nobel,

Peuple de Suède

Sire, Altesses Royales,

et vous tous qui êtes ici ce soir,

II y a quelques années un grand écrivain est venu s’asseoir à votre table pour rompre avec vous le pain de l’amitié. C’était un artiste sensible et un homme généreux dont la vie a été un combat pour la liberté et la vérité. Voici quelles furent ses paroles : ” II me reste à vous remercier et à vous faire publiquement, en témoignage personnel de gratitude, la même et ancienne promesse de fidélité, que chaque artiste vrai, chaque jour, se fait à lui-même dans le silence “.

En manière de remerciement, en témoignage personnel de gratitude, j’ai prononcé pour vous le serment d’Albert Camus.

Copyright © The Nobel Foundation 1965

To cite this section
MLA style: André Lwoff – Banquet speech. NobelPrize.org. Nobel Prize Outreach AB 2024. Tue. 19 Mar 2024. <https://www.nobelprize.org/prizes/medicine/1965/lwoff/speech/>

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