Georges Pire
Acceptance Speech
Georges Pire’s Acceptance Speech, on the occasion of the award of the Nobel Peace Peace Prize in Oslo, December 10, 1958 (in French)
Sire,
Dans les innombrables lettres que j’ai reçues depuis le 10 Novembre, combien de correspondants inconnus, de pays divers et parfois bien lointains, se sont plu à souligner le geste profondément humain accompli par la Norvège et m’ont rappelé la tradition d’humanité qui est une des grandeurs de la Norvège. Que cette pensée soutienne Votre Majesté dans sa tâche de Père d’un peuple bon. Je suis profondément heureux du message encourageant que Votre Majesté a bien voulu m’envoyer après l’élection du Comité Nobel du Parlement Norvégien, et je La remercie pour Sa présence d’aujourd’hui, car cette présence rend, en quelque manière, présent tout le peuple norvégien.
Altesse Royale,
La grâce et le sourire sont, dans la vie, d’une importance capitale. La présence de Votre Altesse Royale m’apporte cela aujourd’hui et je Lui en dis un profond merci. Deux êtres qui ne peuvent même pas communiquer leurs pensées par une langue commune, peuvent se comprendre et s’estimer d’un regard. Par deux fois déjà je me suis senti compris par Votre Altesse Royale. C’est pourquoi je souhaitais vivement La voir aujourd’hui parmi nous. Mon vœu est exaucé. Merci.
Amis,
Dans le testament d’Alfred Nobel, sur la fondation du Prix de la Paix, il est écrit entre autres que le Comité Nobel du Parlement Norvégien doit décerner le prix à celui qui a agi le plus ou le mieux pour promouvoir la fraternité entre les peuples. Ce noble mobile d’une grande et noble personnalité, qui est accentué dans une lettre que Nobel écrivit en 1885 de laquelle j’extrais la phrase suivante: “il faut traiter le prochain comme nous désirons être traités par lui”, j’ai essayé de le réaliser dans mon activité pour ces catégories de réfugiés ou d’autres frères humains souffrants sur lesquelles mes modestes efforts se sont avant tout concentrés, en me tournant vers l’individu en détresse. J’ai toujours estimé – toute ma vie est basée sur ce principe – que toute activité créatrice pour l’humanité doit être inspirée par l’amour de l’individu en particulier. Je suis par conséquent persuadé que j’agis dans l’esprit d’Alfred Nobel lorsque je tente modestement de travailler pour résoudre le problème des réfugiés ou celui de toute autre souffrance humaine en m’adressant avant tout à chaque homme en particulier.
Mes futures activités viseront de plus en plus, en concrétisant l’amour du prochain, à agir dans l’esprit que Nobel désirait être la norme des efforts de l’humanité pour arriver à ce but qui, aujourd’hui plus que jamais, exige une solution: une paix durable entre les nations.
A cet égard, je désire que la grande somme que le Prix de la Paix représente et que je viens de recevoir du Président du Comité Nobel, soit utilisée pour une moitié à l’achèvement du “Village Fridtjof Nansen” dans la banlieue de Bruxelles, et pour l’autre moitié à la réalisation du “Village Anne Frank”. Je suis aussi heureux dans la conviction que j’ai qu’Alfred Nobel eût approuvé la phrase suivante qu’un journal norvégien écrivit récemment: “Celui qui observe le commandement de Dieu d’aimer son prochain est dans l’acception la plus propre du terme un fondateur de paix”.
* * *
Des milliers de lettres, notes, télégrammes, articles de journaux, peut-être rien n’était-il plus juste et agréable à lire que cette phrase d’un très grand journal:
“Dans d’obscurs recoins du monde, il est des hommes et des femmes qui, ignorés du reste du monde, consacrent leur vie à des œuvres de paix et d’humanitarisme. Le Père Pire est l’un de ceux-là.”
Le lauréat inconnu, d’une ville inconnue, situé dans un pays inconnu, c’est l’Homme. C’est donc au nom de l’Homme, au nom de tous les hommes de bonne volonté du monde, que je vous dis merci, Monsieur le Président et Messieurs les Membres du Comité Nobel du Parlement Norvégien. C’est aussi au nom des réfugiés et de tous ceux qui souffrent sur terre que je vous remercie, puisque le lauréat est aussi le travailleur inconnu d’une œuvre inconnue au service d’une souffrance inconnue.
Votre audace est extraordinaire. D’une part, chacun sait, chaque année un peu plus, que votre Comité travaille dans les conditions les plus absolues d’intégrité et d’indépendance pour donner un Prix qui représente, chaque année, un crédit moral accru. D’autre part vous couronnez, un prêtre et un enfant. Vous avez pris ce risque et je crois pouvoir vous dire aujourd’hui que vous ne le regretterez pas. Certes, j’ai reçu d’innombrables témoignages de croyants et notamment de confrères dominicains de tant de pays différents et lointains. Mais leur joie n’a rien d’annexionniste; ils ont tous au contraire compris que la couronne du Prix Nobel ne sera annexée par personne mais qu’elle veut simplement, comme le disait un journaliste norvégien, “rendre hommage à l’amour d’un homme pour ses semblables”. Vous avez couronné un enfant. J’ai eu la curiosité de comparer les âges des lauréats au moment où ils recevaient le Prix Nobel de la Paix. Cinq d’entre eux seulement, y compris moi-même, n’avaient pas 50 ans. Cinquante ans: la moitié de la vie. Je vous en offre la seconde moitié. Le Prix Nobel, en couronnes suédoises, sera vite utilisé à faire quelques maisons pour des réfugiés. Mais, vous le saviez depuis longtemps, et je le sais depuis exactement 30 jours, le Prix Nobel est un crédit moral inestimable. La loyauté de ceux qui le donnent et la vie profonde de ceux qui le portent en font le signe le plus grand qu’on puisse imaginer de la confiance des Hommes. Cette confiance est un stimulant extraordinaire, tant par sa quantité que par sa qualité. Les fleuves de lettres, cartes, appels téléphoniques, visites, messages, articles, télégrammes; la gentillesse inouïe de tous ceux qui les adressent sont littéralement incroyables. A quoi bon énumérer le nombre et la variété des correspondants, à quoi bon vous lire tous les plus beaux messages? En voici trois. L’un, d’Europe, qui dit: “Votre mérite n’a pas seulement été d’arracher à la misère physique et morale les plus malheureux de nos frères, mais surtout d’avoir brisé la dureté et l’orgueil de nos cœurs.” Le second, d’Amérique: “Your life is a real inspiration to any young person interested in making this a more livable world.” Le troisième, d’un avocat journaliste: “Hier, tous ignoraient son existence. Et brusquement croyants et incroyants des cinq continents s’inclinent dans un mouvement unanime d’admiration et de respect devant cet homme qui a vraiment transposé dans ses actes le principe essentiel de sa religion: l’amour du prochain.”
Dans mon discours à l’Aula, le 21 Octobre, j’avais cité cette magnifique parole de Lord Baden Powell: “La confiance en soi naît de la confiance des autres en soi”. J’accepte, Monsieur le Président, l’immense somme de confiance des Hommes que vous accumulez sur ma tête par l’attribution du Prix Nobel de la Paix. Je l’accepte avec joie, pourquoi ne pas le dire. C’est la joie de l’amitié, la joie de ne pas se sentir seul, la joie de se savoir sur le bon chemin, celui qui mène à la compréhension et à l’amour mutuels entre les Hommes, la joie de pouvoir faire quelque chose, de pouvoir achever, embellir la figure de ce monde que le Créateur nous fait l’honneur immense de pouvoir façonner, de pouvoir pétrir.
Cette joie, je vous l’ai écrit, n’est pas la joie d’une récompense. Je ne suis pas un vieil Amiral qui reçoit la dernière et la plus belle décoration de sa vie. C’est une joie sérieuse, profonde, une joie de l’âme. La joie de l’alpiniste qui, en pleine route, vient d’entrevoir subitement le sentier qui va lui permettre d’agir plus et mieux.
Je voudrais, Monsieur le Président, terminer mon merci par une énormité telle que vous la prendrez soit comme une parole d’orgueil soit comme revêtant la gravité d’une première déclaration d’amour. Cette énormité, la voici. Je voudrais utiliser le crédit moral du Prix Nobel de la Paix de façon telle qu’à ma mort ce crédit vous revienne non seulement tout entier et intact mais agrandi, amplifié par la façon dont je l’aurai utilisé, de telle sorte que vos successeurs puissent offrir plus tard, par le Prix Nobel de la Paix, un crédit moral encore plus important parce que votre candidat de 1958 l’aura bien porté.
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