René Cassin

Acceptance Speech

René Cassin’s Acceptance Speech, on the occasion of the award of the Nobel Peace Prize in Oslo, December 10, 1968 (in French)

Majesté, S. Altesse Royale, le Prince héritier, Madame la Princesse Royale, Madame la Présidente,

C’est avec une émotion bien compréhensible que je reçois en présence de Votre Majesté, et d’une assistance chaleureuse, le Prix Nobel de la Paix que le Comité norvégien du Storting a bien voulu me décerner pour 1968, après deux ans de silence et que Madame Aase Lionæs me remet, en accompagnant ce geste de paroles trop élogieuses.

Mon émotion vient d’abord de ce que je me trouve pour la première fois dans la capitale de la Norvège redevenue libre en face de son roi et qu’irrésistiblement j’évoque les épreuves subies par votre pays en 1940, lorsque brutalement envahi en violation de tout droit, son peuple a résisté, tout entier, à l’envahisseur sous la haute inspiration de son souverain légitime Haakon VII. J’ai eu le privilège d’approcher celui-ci à Londres, lorsqu’avec une poignée de Français répondant à l’appel d’un jeune général, nous avons lutté aussi, dans l’honneur et la dignité, pour la libération de la France et des autres pays occupés. C’est donc un combattant de deux guerres qui se trouve aujourd’hui proclamé lauréat de Prix Nobel de la Paix, dans un pays éminemment pacifique qui, lui-même, a dû faire face à l’agression.

Je ressens également une admiration émue, en prononçant le nom d’Alfred Nobel, ce généreux savant et industriel qui a voulu terminer une vie difficile mais féconde, en marquant sa foi doublée d’espérance en l’avenir de l’humanité. Il a manifesté notamment sa confiance, lui Suédois, envers le Storting norvégien, en le chargeant par testament de distribuer chaque année un prix « à ceux qui auront fait le plus ou le mieux pour l’œuvre de fraternité des peuples, pour la suppression ou la réduction des armées permanentes, ainsi que pour la formation et la propagation des congrès de la paix». Comment pourrait-on s’abstenir de confronter les desseins philanthropiques ainsi exprimés avec les réalités? De son vivant la dynamite et les produits analogues, qu’il avait inventés ou perfectionnés en vue de travaux pacifiques, étaient déjà des armes de guerre redoutables. Que dire alors de la puissance formidable de destruction que ceux qui ont libéré l’énergie prodigieuse enfermée dans l’atome ont livrée à tous, aux hommes sages, mais aussi aux imprudents et aux belliqueux?

En face de si graves dangers, ce n’est plus seulement l’émotion, mais un sentiment d’humilité et une volonté déterminée qui étreignent l’homme jugé digne cette année de recevoir le Prix Nobel de la Paix. Certes ce qui a pu être fait n’est pas négligeable : la Charte des Droits de l’Homme promise aux peuples au lendemain de la seconde guerre mondiale a pu être menée à son achèvement dix-huit ans après la Déclaration universelle dont Madame Eleanor Roosevelt a présidé l’élaboration. Mais, sauf en Europe où une Convention régionale est appliquée effectivement depuis quinze ans, cette Charte n’est pas encore entrée dans la vie. Trop d’événements récents soulignent les liens entre le respect des Droits de l’Homme et la paix internationale.

Devant l’immensité de la tâche qui reste à accomplir, un lauréat du Prix Nobel ne peut que chercher des nouvelles sources de courage dans l’exemple de ses prédécesseurs illustres de nationalités diverses qui ont œuvré pour la fraternité des peuples : hommes d’Etat, penseurs, conducteurs de masses, religieux. Pour ne parler que de ceux que j’ai connus personnellement, notamment parmi les Français, je veux rappeler ici les noms de Léon Bourgeois qui a demandé à Herriot de me désigner en 1924, parmi ses suppléants dans la Délégation française à la Société des Nations; celui d’Aristide Briand qui, dans ses tentatives de réconciliation et de paix a eu constamment le soutien de la majorité des anciens combattants européens des deux camps groupés dans la C.I.A.M.A.C.; celui de Lord Robert Cecil qui, le premier à la fin de 1933 a discerné la nécessité et les moyens d’une action mondiale propre à prévenir les menaces pesant sur la Paix; celui de Léon Jouhaux qui a mené les syndicats ouvriers aux postes de responsabilité les plus élevés, au sein de l’Organisation internationale du Travail. J’évoquerai enfin le nom du Docteur Albert Schweitzer, mon collègue à l’Institut de France qui a formé, comme médecin des corps et des armes avec le Révérend Martin Luther King et le Père Pire, une trinité exceptionnelle, dont seul le dernier survit. Comment un juriste, un homme de Droit ne ressentirait-il pas une certaine fierté de se sentir, à plus d’un demi-siècle dé distance, le continuateur d’un Louis Renault, professeur à Paris, qui fut, à la fin du XIXe siècle, l’artisan principal des
Conventions de La Haye sur le droit de la guerre? Comment enfin n’exprimerait-il pas son admiration pour Martin Luther King tombé martyr au service de ses idées?

Mais l’homme doit mesurer qu’il ne peut pas agir efficacement seul. Il doit se sentir soutenu par la compréhension et la volonté de tous les autres.

Aussi permettez-moi de penser ici tout haut aux victimes innocentes des guerres comme à ceux qui ont défendu les droits, la liberté et la dignité de l’homme. Je pense également à tous ces magistrats silencieux qui appliquent avec justice et courage civique les règles protectrices des droits des individus dans la société. J’envoie enfin un souvenir à ces délégués de toutes les Nations Unies qui travaillent et dont beaucoup ont hélas! disparu depuis que nous avons en commun bâti la Déclaration universelle, au sortir d’une guerre sans exemple.

Ce sont tous ceux-là, les morts et les vivants, hommes de bonne volonté, artisans d’une condition humaine moins injuste, fervents « accoucheurs » de règles, anciennes dans leur essence, mais exprimées sous des modalités convenant mieux à notre monde moderne, qui sont, sous le nom d’un des leurs, les vrais lauréats du Prix Nobel de la Paix.

Ainsi celui-ci prend-il toute sa signification — et la voix populaire comme les conducteurs des foules ne s’y trompent pas — ce prix ne couronne pas un résultat atteint, il ne consacre pas une paix acquise, mais il glorifie l’effort vers une paix difficile à acquérir. Ce qu’il symbolise, sous une forme différente à la vérité du Mythe de Promethée, c’est la volonté inlassable, ardente de l’Homme de s’élever vers un idéal fraternel pour lequel il est capable de donner sa vie, même s’il ne l’atteint pas, pour le salut des autres hommes vivants et celui des générations à venir.

From Les Prix Nobel en 1968, Editor Wilhelm Odelberg, [Nobel Foundation], Stockholm, 1969

Copyright © The Nobel Foundation 1968

To cite this section
MLA style: René Cassin – Acceptance Speech. NobelPrize.org. Nobel Prize Outreach AB 2024. Sun. 19 May 2024. <https://www.nobelprize.org/prizes/peace/1968/cassin/acceptance-speech/>

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