Alfred Kastler

Banquet speech

Alfred Kastler’s speech at the Nobel Banquet in Stockholm, December 10, 1966 (in French)

Sire, Altesses Royales, Mesdames, Messieurs,

Permettez-moi de vous exprimer ce soir, non pas seulement la gratitude d’un homme, mais celle d’une équipe dont vous avez distingué l’oeuvre collective et que m’a puissamment aidé à former mon collègue et ami Jean Brossel.

Permettez-moi également de vous dire la gratitude de l’Ecole Normale Supérieure qui nous a fourni nos chercheurs, jeunes gens et jeunes filles, ainsi que celle de ma petite patrie, l’Alsace, et de ma grande patrie, la France, déjà très honorée, l’an passé, par le choix que vous avez fait des trois prix Nobel de Médecine.

C’est après une longue éclipse que le nom de la France reparaît au Palmarès des prix Nobel de Physique, et je me sens très ému d’avoir été l’objet de votre choix. En effet, l’effort de notre pays dans le domaine de la recherche scientifique – en dépit de l’impulsion donnée par Jean Perrin – fut souvent timide et insuffisant. En outre, notre jeune élite intellectuelle a été décimée au cours de la première guerre mondiale, et c’est toute une génération de chercheurs qui a été fauchée sur les champs de bataille. Chaque année, la cérémonie du 11 Novembre qui nous réunit autour du Monument aux Morts, face à l’interminable liste d’élèves de l’Ecole Normale morts au champ d’honneur, nous permet d’apprécier l’immensité du sacrifice.

De nouvelles générations s’efforcent actuellement de combler ce grand vide ainsi que celui produit par l’isolement de la dernière guerre. Nous ne cessons de demander pour elles plus de crédits, de locaux, de moyens de collaborer avec les chercheurs des autres pays, dans la confiance et l’amitié.

Depuis la fin de la dernière guerre, un certain nombre de Français sont déjà venus en Suède. Je me rappelle volontiers le plaisir que j’ai eu à aller, il y a 18 ans, dans le Grand Nord, au bord du Torneträsk, à Abisko, pour y étudier les spectres du ciel crépusculaire. Je revois cette veille de Noel 1948 où mon train s’enfonçait dans la nuit polaire et où je contemplais, émerveillé, à chaque station, le grand sapin de Noël dont les lumières illuminaient les ramures givrées des bouleaux de la forêt en une éclatante féerie. La nuit suivante nous donna le grandiose spectacle d’un ciel embrasé par une aurore boréale. Quelques semaines plus tard, fin Janvier, ce fut l’apparition du soleil qui inonda de joie le visage de nos compagnons de voyage dont deux lapons, dans le train qui nous menait vers l’église de bois et les mines de Kiruna.

C’est alors que j’ai compris ce que signifie pour vous la lumière et avec quelle ferveur, encore au milieu des ténèbres, vous saluez la renaissance des jours et la venue du printemps, ce printemps symbolisé pour moi par la merveilleuse statue de jeune fille, oeuvre de mon ami Gunnar Nilsson, qui orne la place de l’école de Farsta, dans la banlieue de Stockholm.

Permettez-moi maintenant de revenir à la France et aux semaines que je viens de vivre. Si je n’avais connu le prestige dont jouit le prix Nobel, les centaines de témoignages d’amitié que j’ai reçus et dont la plupart attendent encore une réponse, m’auraient convaincu de l’extraordinaire rayonnement qui entoure le nom d’Alfred Nobel. Et ce n’est pas le moindre de ses mérites que d’avoir, en encourageant le développement des activités humaines, été à l’origine de la formation, sans cesse renaissante, de ce réseau de sympathie qui, par lettres et télégrammes, entoure chaque mois de novembre notre planète souvent déchirée.

Alfred Nobel, en associant, dans son testament, aux prix de sciences et de médecine un prix Nobel de la Paix, n’a-t-il pas voulu léguer à ceux qui sont élevés à la dignité de prix Nobel une grande et grave responsabilité : celle de veiller, d’oeuvrer et de lutter pour que la Science, source de bien et de mal, ne soit pas détournée vers des oeuvres de destruction et de mort, mais pour qu’elle serve à des oeuvres constructives, pour qu’elle aide à l’épanouissement de la vie, et qu’en un siècle ou elle rapproche les hommes vivant aux antipodes, elle leur apporte aussi plus de lumière et le bien suprême : la Paix.

Afin que le cri des chrétiens du Moyen Age ” Noël, Noël ” qui signifie ” Joie ” devienne le cri de tous les hommes.

Tack så mycket.

Copyright © The Nobel Foundation 1966

 

To cite this section
MLA style: Alfred Kastler – Banquet speech. NobelPrize.org. Nobel Prize Outreach AB 2024. Mon. 9 Dec 2024. <https://www.nobelprize.org/prizes/physics/1966/kastler/speech/>

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