Georges Pire – Conférence Nobel

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Conférence Nobel, prononcé à Oslo le 11 décembre 1958


L’Amour Fraternel, Fondement de la Paix

“Les hommes construisent trop de murs et pas assez de ponts.” (Newton)

Chers Amis de Norvège, d’Europe et du Monde,

Vous aurez la gentillesse fraternelle de comprendre que ceci n’est pas un discours, mais un message, un message du cœur, la suite du dialogue commencé ici-même le 21 octobre 1958. Ce jour-là, je vous avais dit: «Ce que mon cœur cherche, ce soir, c’est à rencontrer le vôtre.» Les 10 et 15 novembre m’arrivait, comme le coup de foudre des belles histoires d’amour, la réponse du cœur de la Norvège. Le 10 novembre, à 15 h 15, c’était le télégramme du Président du Comité Nobel du Parlement Norvégien. Le 15 novembre, c’était le message de sa Majesté le Roi Olav V qui disait:

«Mon cher Père Pire,

Je suis très heureux d’apprendre l’affection que vous montrez pour la Norvège après votre séjour ici, et je suis d’autant plus heureux que le Prix Nobel de la Paix vous ait été maintenant donné pour votre grand travail philanthropique en faveur des personnes déplacées.

Je vous félicite très sincèrement et vous envoie mes vœux les plus chaleureux pour votre activité continue pour le bien de l’humanité.»

Un discours de plus, pour vous raconter ma vie, à quoi bon? J’ai tout dit de l’essentiel, le 21 octobre. Un journaliste américain me disait: «Votre vie est un paradoxe.» Je le renvoie au poète Charles Péguy, qui disait:

«Il me faut une journée pour faire l’histoire d’une seconde. Il me faut une année pour faire l’histoire d’une minute. Il me faut une vie pour faire l’histoire d’une heure. Il me faut une éternité pour faire l’histoire d’un jour. On peut tout faire, excepté l’histoire de ce que l’on a fait.»

Un discours de plus sur la paix, à quoi bon? La paix n’est pas une chose à dire, mais une chose à faire. Mon ami le Docteur Schweitzer, disait, ici-même, le 4 novembre 1954, dans sa conférence Nobel: «Mais le fait essentiel que nous devons ressentir dans notre conscience, et que nous aurions dû ressentir depuis longtemps, est que nous devenions inhumains à mesure que nous devenions des surhommes.» Et il avait, disait-il le même jour: «la certitude, née de la pensée, que l’esprit est capable, à notre époque, de créer une nouvelle mentalité, une mentalité éthique». «Animé par cette certitude, disait notre ami de Lambaréné, j’annonce cette vérité, dans l’espoir que mon témoignage pourra contribuer à ce qu’elle ne soit pas mise de côté comme bonne seulement en paroles, mais inapplicable dans la réalité. Plus d’une vérité est restée longtemps ou totalement sans effet, simplement parce que personne u’a envisagé qu’elle pût devenir réalité.»

Que faire, de mieux, pour que la Paix devienne une réalité, sinon s’attaquer au problème de la souffrance des Hommes?

I – Aider chaque Homme

Avec ou sans Prix Nobel, celui qui vit en contact avec les hommes, se sent solidaire de toutes les souffrances, physiques et morales, innombrables. Chacun se sent incapable de tout faire. Et il est rapidement amené, par réalisme, par souci d’efficacité, à circonscrire, bien à contre-cœur, son action à tel secteur, à telle misère, sans pour autant ignorer, mépriser ou mésestimer les autres. Parmi les messages, innombrables et si admirables dans leur diversité, qui sont arrivés sur ma table depuis le 10 novembre, je voudrais vous en citer deux, qui situent exactement le problème. Tous deux sont écrits par des êtres qui ont beaucoup souffert, qui ont, en quelque sorte, cru tout perdre, et ont donc la pureté et le détachement nécessaires pour parler dignement de la souffrance.

Le premier écrit:

«En visitant le Pavillon du Canada à l’Exposition Universelle de Bruxelles, j’ai été frappé par une inscription en grands caractères, à la section des œuvres sociales/ Elle disait à peu près ceci: «La façon la plus efficace ou la plus importante d’aider est l’initiative personnelle.» En ce sens, l’Aide aux Personnes Déplacées est un médium merveilleux, une œuvre originale. Et pour nous, qui pesons si peu dans la balance des grandes décisions prises à l’O. N. U. et ailleurs, une façon efficace d’agir quand même dans le sens de l’Europe, de la Paix. Contrairement aux grands problèmes politiques sur lesquels l’homme de la rue désespère d’avoir une prise, nous avons sur le problème D. P. une prise-directe.

Je n’écoute pas les pessimistes qui disent que tous les Prix Nobel de la Paix n’ont jamais empêché les violences. Je crois que le monde progresse spirituellement, lentement sans doute, mais il progresse. A peu près à la cadence de 3 pas en avant et 2 en arrière. L’important c’est de faire le pas supplémentaire, le 3ème pas. C’est la grande chance de l’humanité et vous êtes de ceux qui le rendent possible, qui têtus se lancent à l’assaut, reviennent à charge, insistent, persévèrent, et font si bien que nous sommes entraînés avec vous, peut-être parfois malgré nous. Toujours avec à-propos et sens pratique et souvent avec humour. Toujours avec amour, et un grand respect de l’homme et un souci aigu de la justice.»

Comme vous le voyez, le problème de la souffrance des réfugiés a pu, comme pourraient le faire bien d’autres problèmes de souffrance humaine, amener en quelque sorte à portée de la main d’un certain nombre de bonnes volontés un travail de paix.

Cette idée est souligné beaucoup plus clairement encore dans le second témoignage, que voici:

«Au début, je me disais moi-même: se qu’il fait est admirable, mais même s’il arrive à créer une dizaine, une vingtaine de homes pour vieillards, il ne sauvera qu’une portion infinitésimale du hard core … Tu as tenu bon et l’efficacité a suivi une progression géométrique. Un moment devait venir, et il est venu, où tu seras à même de résoudre l’ensemble du problème, ou tout au-moins d’amorcer une solution à l’ampleur du problème.

Tu es la preuve vivante que c’est là, et là seulement, la vraie formule. Mettre tout son cœur, son amour à l’œuvre sur un point, si modeste soit-il, un terrain, celui que la Providence suggère. Et ne plus lâcher prise.

Cet acte d’amour initial, qui semble au début n’atteindre que quelques petits bénéficiaires inconnus, finit par avoir des répercussions mondiales, par devenir un courant de solidarité internationale. C’est magnifique.»

«L’acte d’amour initial», auquel fait allusion mon correspondent, vous permet non seulement d’être l’homme d’une idée (ce qui donne déjà une énorme concentration de force) mais encore et surtout de vous maintenir en contact avec la personne humaine. Un tel contact est enrichissant pour vous et pour celui que vous rencontrez personnellement. L’Homme ne risque plus de devenir une humanité de plus en plus abstraite, théorique, telle qu’elle n’existe pas. Elle redevient ce qu’elle est en réalité: tel homme, tel drame, tel sort, tels besoins. Le cœur à cœur s’installe et est la source unique des plus belles vertus de l’action pacifiante: Amour, Initiative, Ténacité, Réalisme, Patience.

Amour, car nous restons ainsi proche du cœur de l’autre, du frère, au départ, en route, et jusqu’au bout de la vie. Un réfugié écrivait récemment à sa Marraine: «J’attends toujours vos lettres avec joie, car la vraie chaleur qui y rayonne me console. Oui, je sens que le plus important en cette vie terrestre sont les valeurs spirituelles, et que sans elles la vie est si triste qu’elle ne vaut pas la peine d’être vécue. Souvent, dans la solitude, je pensais que vous étiez à côté de moi, me preniez par la main, et me caressiez le front. J’aurais voulu mettre ma tête dans vos mains, afin de sentir l’affection et la bonté rayonner vers moi. Mais je devais toujours penser que ce n’est qu’en esprit que nous pouvons être ensemble. Cette pensée me consolait car les liens en esprit sont les plus beaux. Ils ne nous trompent jamais, et nous accompagnent jusqu’au tombeau et même au-delà. Je vous remercie d’avoir consolé et rendu plus beaux les derniers chemins de ma vie. J’attends en paix la fin de cette vie, bien que je sache que mon unique désir d’être enterré en Hongrie ne peut être réalisé.»

Initiative. J’ai si souvent dit et écrit: «le cœur qui aime est inventif». Il découvre mille manières de secourir, de consoler. Il reste frais, vivant, il reste vert. L’éditorialiste d’un grand journal norvégien l’a compris lorsqu’il écrivait: «II y a un ancien proverbe qui dit que certaines gens qui font pousser les plantes et les fleurs ont les mains «vertes». Le Père Pire avait des mains «vertes.» Là où son cœur a rencontré d’autres cœurs, cela a commencé de pousser».

Ténacité. En me remerciant, le 21 octobre, à l’Aula, M. Finn Moe disait: «Vous avez exprimé quelque chose qui me paraît essentiel et caractéristique du travail dont vous nous avez parlé ce soir. C’est un individu qui se décide tout seul à donner tout ce qu’il a de force, de foi, d’enthousiasme, dans une campagne pour recréer chez ceux qui ont été obligés de fuir et d’abandonner tout, le sentiment de leur valeur d’êtres humains et leur confiance dans l’humanité.»

Réalisme. Le contact d’homme à homme nous apprend qu’il faut non pas croire que les autres sont tels qu’on les voudrait mais qu’il faut sauver les autres tels qu’ils sont. Ceci, bien sûr, exige une énorme patience. Une réfugiée balte écrivait dans un grand journal belge: «Peu de gens se rendent réellement compte de l’amour et de la patience qu’il faut pour s’occuper des réfugiés. Quittant leur pays, ceux-ci ont emporté pour tout bagage leur caractère, leur amertume. Que d’intrigues ne faut-il pas démêler, que de caprices ne faut-il pas calmer tous les jours dans ces Homes de vieillards, ces villages de l’Europe du Cœur.»

Méfions-nous des mouvements de masse, méfions-nous des statistiques. Il faut aimer son prochain comme soi-même. Certes, aider chaque homme suppose que l’on renonce à les aider tous, au moins directement. Qui dont pourrait, dans l’espace d’une vie, se donner totalement à tous? Mais ce que l’un ne peut faire seul, de nombreuses bonnes volontés peuvent le réaliser. La paix, peut-être n’y a-t-il de plus sûr chemin vers elle que des îlots, des oasis de bonté concrète, îlots, oasis do pins en plus nombreux, de plus on plus rapprochés, jusqu’à faire le tour du monde.

II – N’oublier personne

Comme ils se trompent par conséquent ceux qui pensent que je ramène tous les problèmes de la souffrance du monde au drame des Displaced Persons. Amis, en aidant quelques réfugiés européens (et même pas toul leur groupe), je vois, dans mon esprit, derrière eux, tous les réfugiés d’Kuropo que je n’aiderai pas et tous les réfugiés des quatre coins du monde. J’ai lu récemment un article intitulé: «Les sept plaies du monde», dans lequel l’auteur citait les sept grands centres de réfugiés dans le monde.

Derrière ce flot des réfugiés, je vois tant d’autres souffrances: les affamés, les sans abris, les emprisonnés, et tant d’autres. De Tokyo, mon ami Follereau, apôtre des lépreux, m’écrivait le n novembre:

«Je veux vous dire toute ma joie et toute la fierté que j’ai à me compter de vos amis. Tous ceux qui luttent contre l’injustice sociale et la misère humaine, tous ceux qui veulent que la paix règne entre les hommes de bonne volonté seront honorés par cette distinction. Je visite actuellement les léproseries du Japon. Puis ce sera la Corée el Formose. Si les événements extérieurs ne viennent pas compliquer ce voyage, je pense être de retour à Paris aux alentours de Noël. Aurai-je enfin la joie de vous voir? Mais comme vous me l’avez écrit, nous n’avons pas besoin de nous voir pour nous connaître. Je n’oublie pas mon projet de village offert par l’Afrique. J’espère que les événements nous permettront de le réaliser bientôt.

Bravo encore, de tout mon cœur.

Je vous aime bien et vous embrasse avec tonte ma fidèle affection.»

Nous pouvons, comme vous le voyez, rester humblement ce que nous sommes, à la place que Dieu nous a destinée, la mienne étant de continuer avec amour, initiative, ténacité, réalisme, patience, mon petit sillon pour les Personnes Déplacées. Nous pouvons donc, nous devons rester chacun à sa place, sans nous couper du reste du monde, en faisant au contraire la paix, là où nous sommes. Un architecte m’écrivait: «On n’a jamais fini de lutter, ce sont des milliards d’hommes qui devraient réaliser ensemble qu’ils sont frères et que chacun individuellement est le frère des autres.»

III – Union sacrée

Parlant à Augsburg, le 5 mai 1957, lors de la pose de la première pierre de notre 3ème village européen, j’avais dit à mes auditeurs:

«Si profondes que soient nos différences, elles restent superficielles. Et ce qui nous différencie est toujours beaucoup moindre que ce que nous avons en commun. La meilleure façon pour nous de vivre en paix, de nous estimer et de nous aimer est donc de toujours voir notre dénominateur commun. Celui-ci porte un nom magnifique: l’Homme. Apprenons donc, réapprenons à voir dans tout être, fût-il absolument différent de nous par ses idées, sa situation sociale, sa mentalité, ses croyances, un frère humain. Apprenons aussi, réapprenons à estimer l’homme à sa vraie valeur, qui est une valeur infinie.»

Celui qui se consacre de tout son cœur au sauvetage d’un seul de ses frères et qui intéresse à ce sauvetage un seul autre frère voit aussitôt surgir de l’inconscient la perception d’une chose admirable: «le dénominateur commun».

Un Norvégien que j’ai rencontré à Oslo en octobre m’écrivait, deux jours après mon départ: «Des le premier moment vous ne paraissez pas comme un étranger, mais comme un frère qu’on a connu toute sa vie et qui a dans ses veines le même sang qu’on a soi-même.» Un haut fonctionnaire qui m’a compris m’écrivait le 14 novembre: «En accordant de l’aide, vous considérez tout homme tout d’abord en tant qu’homme quel qu’il soit … Cet arc largement tendu dans le domaine spirituel est d’une importance plus grande que la trajectoire d’une fusée lunaire. On doit et on pourra être d’opinions religieuses, philosophiques, scientifiques différentes, mais on devrait toujours laisser l’homme ce qu’il est: un homme, qui n’est pas d’abord meilleur qu’un autre et n’est qu’un homme et qui par conséquent mérite la même attention que tout autre.» Une dame m’a écrit de Berlin: «Ci-joint, je vous envoie un article d’un journal de Berlin, qui m’a beaucoup impressionnée et m’a fait réfléchir. Il faudrait qu’un très grand nombre de gens lisent cet article et le prennent à cœur aussi, alors le monde aurait une autre allure. Nous ne devons pas nous contenter de dire que les gens d’aujourd’hui sont mauvais. C’est vite dit. Nous devons toujours essayer de ramener les gens au bien, car la lutte et la dispute conduisent à la guerre et une guerre signifie actuellement la fin du monde. On ne peut jamais dire assez aux hommes ni répéter que c’est pourtant le bien qui triomphe.»

Quand on en est là, Chers Amis, les disputes confessionnelles, les orgueils nationaux apparaissent comme choses bien méprisables. C’est alors que commence la lecture merveilleuse des plus beaux messages de fraternité.

Le message du Rabbin français Azra, présenté sons forme de prière

«Seigneur,

C’est inspirés par ces principes de ta loi, que nous sommes réunis ici, à l’occasion de l’édification d’un nouveau «village européen». Nous sommes là, pour traduire par des actes une œuvre de fraternité et d’amour et pour te demander de bénir la pose de la première pierre de ce village.

Oh Seigneur, toi qui nous as mis au monde pour vivre dans la paix et la concorde, toi qui nous as donné la raison pour dompter les forces de la nature et non pour imaginer les moyens de nous ravir les uns aux autres la vie sacrée que nous tenons de toi; hâte l’arrivée bienheureuse de cette époque de la fraternité universelle. Que cette cérémonie, Seigneur, qui en est lu symbole, soit le prélude de ce temps mille fois béni où l’humanité toute entière ne formera qu’une seule et même famille et où les hommes, tes enfants, seront enfin délivrés des souffrances, des misères et des fléaux qui les désolent encore. Purifiés, ennoblis alors par l’épreuve, ils vivront désormais tous en paix et en harmonie. Dieu de bonté, Maître de nos destinées, daigne bénir ses bienfaiteurs et ses inspirateurs; bénis cet homme de cœur le P. Dominique Pire, couronne de succès l’œuvre qu’il a entreprise; bénis tous les hommes nos frères, inspire-leur raison et sagesse, fais rayonner sur eux un esprit de paix, d’amour et de concorde.»

C’est le message d’un Bourgmestre allemand:

«On est forcé tout simplement d’aller avec vous, de suivre votre idée, qu’on le veuille ou non. Et c’est ce qui m’a fait dès le début me joindre à vous. Si je vous écris ainsi en paroles simples, quelle a été mon impression de notre première rencontre et ensuite la pose de la première pierre, veuillez prendre tout ce qui est écrit dans le sens le plus vrai des mots.»

C’est le message d’une Américaine:

«Je suis Juive et j’aime tous les catholiques … tous les gens de n’importe quelle confession qui sont bons.»

C’est le message d’un ménage:

«L’exemple magnifique de votre grande œuvre en faveur des humains ressuscite l’espoir éternel que nous avons tous dans la croyance que la «vie bonne» peut refaire le monde. En ces jours de sombre cynisme, vous symbolisez aux hommes que l’action et la morale peuvent atteindre le cœur et renouveler la vie pour ceux qui ont perdu la foi par suite de l’inhumanité de l’homme. Tous les deux, étant catholique et juif, nous avons vu renaître nos espoirs, nos idées, notre foi et notre amour envers l’humanité grâce à la façon digne du Christ dont vous marchez parmi les hommes de tous types.»

C’est le message d’une femme dont le mari a été perdu au camp de concentration belge de Breendonck, dont le fils unique est mort à 20 ans dans un camp d’extermination, qui est elle-même rentrée mourante du camp de Ravensbrück. Elle m’écrit:

«Sur le plan social, j’aide – de tout mon pouvoir – tous ceux qui me sollicitent, sans distinction d’opinion. Je n’y ai aucun mérite, c’est dans ma nature. La tolérance, la bonté, la charité – c’est ma foi – et Dieu est bon, qui permet que ma solitude totale – et combien dure – soit éclairée de cette façon.»

Le message aussi d’un haut fonctionnaire français:

«Ce choix de nos amis Norvégiens n’aurait pu être meilleur puisqu’il reconnaît une fois encore que l’amour et la charité sont sources de paix.»

Le message d’un prêtre catholique:

«Votre providentielle réussite fait du bien à tous car en vous applaudissant, c’est la vérité et la charité evangeliques que nous célébrons, et nous n’avons pas d’autre source de vie et de salut.»

Le message d’un pasteur protestant:

«Avant tout soyez très cordialement félicité pour le Prix Nobel de la Paix qui vient de vous être décerné pour la plus grande joie de tous vos amis. Personnellement, j’en suis plus qu’heureux: enchanté.»

Et celui de la femme d’un grand industriel:

«C’est votre foi chrétienne animée de vraie tolérance, qui vous ont amené tant de sympathies.»

Celui d’une Norvégienne:

«C’est comme une étoile étincelante sur le firmament sombre du monde actuel. Permettrez-moi de vous remercier de cette lumière que représente votre travail.»

La voix d’une protestante:

«Je suis protestante, et c’est par l’un de nos journaux religieux que j’ai appris à connaître, admirer et aimer votre œuvre à laquelle je n’ai pas cessé depuis lors de m’intéresser. Je pense que vos collaborateurs et vous essayez de vivre la belle prière de St François d’Assise, et, qu’en effet, là où il y a du désespoir, vous parvenez, avec l’aide de Dieu, à mettre l’espérance.»

L’écho d’un journaliste Corse:

«Nulle joie plus grande ne pouvait m’être accordée, car ainsi ai-je l’assurance que le sens de la Paix n’est pas perdu.»

Et enfin le témoignage d’un compatriote:

«II est consolant de pouvoir constater qu’en ce monde ravagé par le matérialisme et par son compagnon fatal, l’égoïsme, il se trouve encore des esprits assez clairvoyants et assez hardis pour rendre un hommage solennel à la Charité.»

L’union sacrée de deux frères humains qui se sont redécouverts beaux et grands en travaillant ensemble au sauvetage d’un troisième frère nous repose de tant de barrières, de préjugés, d’étroitesses, de catégories, qui empoisonnent l’amour humain et l’empêchent de déployer sa force. Or, il faut croire à la force de l’amour et la libérer. Qu’il me soit permis de souligner ici le fait qu’un travail d’amour fraternel réalisé en commun ne comporte aucune compromission, mais se trouve au contraire légitime et exigé par tout esprit droit. Ne parlons pas de tolérance. Ce mot, à peine positif, semble une concession arrachée à une conscience trop sûre d’elle-même. Parlons plutôt de compréhension mutuelle, de respect mutuel. Chaque homme est tenu d’agir selon sa conscience. Si mon voisin n’a pas la même opinion que moi, qui me donne le droit de faire de lui un être de mauvaise foi? Ne dois-je pas, au contraire, croire d’abord à sa bonne foi et attendre de lui qu’il suive fidèlement les impératifs de sa conscience? St Thomas d’Aquin, Prince de la théologie, écrivait à propos d’opinions différentes en matière religieuse: «Si quelqu’un croit de bonne foi qu’il fait mal en servant le Christ, il pèche s’il le sert.»

Depuis dix ans, c’est toujours en suivant ces principes que nous avons agi, tant pour l’aide aux personnes déplacées que pour l’Europe fraternelle que nous constituons tous ensemble autour des réfugiés. L’attribution du Prix Nobel de la Paix m’a obligé, contre mon habitude et contre mon gré, à bien des regards en arrière, malgré la parole de St Paul: «Si quelqu’un met la main à la charrue et regarde en arrière, il n’est pas apte à entrer dans le Royaume.»

J’ai reçu chacun des journalistes personnellement, calmement, comme l’on doit recevoir un être humain. Mais l’introspection, le regard en arrière auxquels chacun d’eux a voulu m’amener m’ont permis de voir qu’au fond, tout ce qui s’est passe depuis dix ans n’est que la constitution d’une chaîne d’amour concret, toujours individualisé qui, partant d’un petit groupe d’amis réunis à Bruxelles le 27 février 1949, et mobilisant les amis des amis, et les amis de ces nouveaux amis, nous réunit ici ce soir en véritables frères et non en une masse anonyme. Souhaitons que cette chaîne d’amis et beaucoup d’autres chaînes analogues constituent bientôt l’Europe du Cœur et, espérons-le, un jour, le Monde du Cœur. Ma joie et mon espérance seraient, depuis le 10 novembre, sans limites devant l’accord unanime de ceux qui jugent et apprennent la décision du Comité Nobel du Parlement Norvégien, sans le «rideau» au-delà duquel vivent des frères comme nous, aussi dignes de vivre que nous et ayant plus besoin que nous d’affection fraternelle. Que leur dire, à eux tous, ce soir, à leurs chefs comme aux plus humbles d’entre eux sinon ceci: Frère de l’Est, Frère d’Asie, je vous aime et je suis prêt à donner ma vie pour chacun de vous.

IV – Responsabilité

Le Prix Nobel de la Paix 1958 n’est pas une fin de carrière, mais un commencement, un recommencement, le renouvellement en mieux de tout ce qui s’est passé depuis dix ans. La responsabilité qui en découle est énorme. Un homme qui m’a vu à l’œuvre m’écrivait: «Dans le nombre de tous ceux qui vous félicitent pour l’attribution du Prix Nobel, je voudrais faire entrer ma petitesse. Je le fais, bien que je sois certain que pour vous personnellement cette haute distinction a peu d’importance et que vous ne référez l’honneur qu’aux principes spirituels que vous représentez. Toutefois vous ne pourrez pas vous soustraire – même en vous-même – à la joie qui vous est préparée. L’idée et la personne vont bien ensemble. Vous personnifiez votre idée à tel point que vous en êtes devenu le porteur de façon très impressionnante. On a confiance en vous. Vous êtes celui dont vous parlez.» Et que dire de cette parole d’un rédacteur, qui résume tout: «A présent, vous appartenez au rêve de paix de tout homme.»

Que vous croyiez ou non, chers Amis, aimez-moi, aidez-moi, prolongez-moi, agrandissez le chemin des amitiés vraies. Je vous livre, en terminant, quatre vers, simples et merveilleux qui furent écrits récemment par un vieux réfugié Russe à qui j’ai rendu une vie humaine. Ces vers sont intitulés par lui: «L’œuvre du Révérend Père Dominique Pire». Voici ces vers:

«C’est un baiser de Paix, du Soleil à la terre …
C’est un Apaisement dans un cœur solitaire …
C’est une grande Promesse …
C’est comme de la Main de Dieu la Caresse …»

From Les Prix Nobel en 1958, Editor Göran Liljestrand, [Nobel Foundation], Stockholm, 1959


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To cite this section
MLA style: Georges Pire – Conférence Nobel. NobelPrize.org. Nobel Prize Outreach AB 2024. Wed. 15 May 2024. <https://www.nobelprize.org/prizes/peace/1958/pire/26180-georges-pire-conference-nobel/>

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